21 novembre 2023

L’infini à portée de livres


Les Libraires – Le bimestriel des librairies indépendantes
Isabelle Beaulieu
21 novembre 2023

Artiste accompli, Gregory Charles, ou l’homme prodige, n’a de cesse de nous impressionner par son génie musical et ses talents de pédagogue qu’il a l’occasion de mettre en œuvre à l’académie Gregory, sa propre école virtuelle de musique. Homme d’affaires, donc, mais aussi animateur, producteur, conférencier, bref, un homme de parole et de cœur. Il y a dix ans, il publiait un premier livre, N’oublie jamais, dans lequel il relatait l’importance du rôle que sa mère a joué dans sa vie. Cette saison paraît Un homme comme lui (Éditions La Presse), qu’il consacre cette fois-ci à l’être d’envergure que fut son père. Pour l’occasion, nous lui avons demandé de se mettre dans la peau d’un libraire et d’y aller de ses suggestions de lecture, ce qu’il n’a évidemment pu faire qu’avec un enthousiasme contagieux.

On suppose aisément qu’enfant, Gregory Charles devait se captiver pour mille et une choses et dévorer des bibliothèques entières, mais il n’en est rien. Sa mère a plutôt dû insister à plusieurs reprises pour qu’il daigne se poser, vers la fin du primaire, et s’asseoir avec un livre en main. Elle a réussi à l’intéresser grâce à une série de petits documentaires sur les personnages célèbres de la Renaissance, ce qui n’a pas manqué de satisfaire l’irrassasiable curiosité pour l’Histoire dont était animé le garçon. Depuis ce jour, il n’est plus à convaincre et a toujours un livre à proximité.

Sachant que notre invité ne fait rien comme tout le monde, nous serons plus ou moins surpris d’apprendre qu’il a lu Le cycle de Fondation d’Isaac Asimov en arrachant chaque page qu’il venait de lire. En ne s’octroyant pas la possibilité de revenir en arrière, il s’assurait ainsi d’être véritablement concentré sur les détails de sa lecture. C’est pourquoi on retrouve dans la bibliothèque de Gregory Charles des livres dont il ne reste plus que la jaquette. D’un autre côté, il possède maints exemplaires de certains titres qu’il a beaucoup aimés, question d’en offrir quand la situation se présente. « J’ai des tonnes d’exemplaires du Quatuor d’Alexandrie [Lawrence Durrell], de La mort de Virgile [Hermann Broch] et de La mélodie secrète de Trinh Xuan Thuan. Et je dois avoir tous les livres de Christian Bobin en multiples versions. » Son premier Bobin, La plus que vive, il se rappelle l’avoir lu jeune adulte pendant un voyage en avion et avoir pleuré toutes les larmes de son corps.

À la mi-vingtaine, il s’entiche de Victor Hugo en lisant La légende des siècles, pour ensuite s’absorber dans le reste de sa production. « Il y a chez moi un souci d’anthologie. Je suis un lecteur boulimique, je consomme, je mets en ordre, j’absorbe de l’info et elle reste, explique-t-il. Et il faut dire que mes parents, qui étaient de simples gens, étaient aussi d’avides lecteurs. » Sa mère traversait immuablement tous les journaux et magazines d’information et son père vouait une grande admiration à Shakespeare, prenant un grand plaisir à en réciter par cœur des vers entiers. À 15 ans, Gregory Charles découvre également son grand écrivain par le biais de Dostoïevski et de ses Frères Karamazov. Les questionnements soulevés par cette œuvre sur la nature paradoxale de l’humain, épris de liberté, mais éprouvant à la fois une terrible fascination pour toute forme de fatalité, le marquent profondément.

Esprit insatiable

Gregory Charles déplore que le système d’éducation actuel soit principalement axé sur les compétences plutôt que sur les connaissances, jugées inutiles. « La connaissance est à la base de tout. Pour améliorer tes compétences, ça te prend des connaissances. Le bonheur vient d’en connaître assez pour être en mesure d’apprécier, soutient-il. Ma mère disait toujours que le bonheur, c’est l’accord parfait. Lorsque le matériel, le psychologique et le mystique se rencontrent. » Il parvient à ces instants de grâce durant la lecture d’un Pouchkine ou d’un Pablo Neruda, des écrivains qui élèvent l’âme. Car les auteurs sont souvent investis d’un regard qui ajoute au souffle caractéristique de notre invité. Cet engagement en toute chose, il le doit en grande partie à Lennox Charles, son père, qu’il raconte dans le livre Un homme comme lui avec l’ambition d’à son tour transmettre aux lecteurs et lectrices quelques bribes de cette adhésion à la vie qu’il honore avec tant de conviction.

Gregory Charles aurait aimé pouvoir s’entretenir avec Toni Morrison, première femme afro-américaine à avoir reçu le prix Nobel de littérature. Les ouvrages théoriques, comme ceux du mathématicien Richard Elwes, parsèment autant le parcours de notre lecteur qui porte beaucoup d’intérêt aux sciences. « Je ne suis pas sûr qu’il y ait des limites à notre cerveau, et il n’y a certainement pas de limites aux choses qui nous passionnent », déclare l’artiste qui n’a besoin que de trois heures de sommeil par nuit. « Je suis une bibitte de savoir. Je suis comme une mouffette en fin de compte, s’il y a une poubelle ouverte, je vais mettre le nez dedans parce que je vais peut-être ramasser un bout de connaissance qui va me permettre de make sense of the world. J’ai l’impression qu’il n’y a aucun moment perdu. » Surtout pas avec un livre à la main.


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